A la naissance du jour

La nuit fuyante laisse un halo lissé de lumière diffuse et les bruits s'estompent, happés par la vapeur du matin. Tout est brouillé à cette heure où le jour se lève. Les feuilles tombantes de rosée ne bruissent pas. La calme absorption de mon poids par la mousse mouvante gorgée d'eau ajoute une touche de mystère à ce matin blême. Le silence qui pèse dans la vallée est splendide et effrayant. On peut observer le silence, il suffit de le regarder profondément. On peut aussi avoir peur du silence, il suffit, dans un tel endroit, de l'écouter aussi intensement qu'on l'a admiré. Il pèse sur les éléments et les écrase de son poids gigantesque. Dans les abysses de mes pensées remuent des sentiments archaïques.

La forêt sombre veille sur la rivière en bas, invisible.

Les animaux semblent absents. Le paysage est mort de brume. Des visions mystiques me hantent à chaque pas. Les imposants sapins mangent l'espace, les fougères cachent des trésors empoisonnés, le ruisseau est un serpent de cristal. La vision furtive d'un mouvement rendu irréel par la brume de l'aube me glace. Le chemin d'habitude si familier est glissant, piquant et froid, seul, vert de gris. Les souches sont des fantômes qui apparaissent au détour d'un virage, les branches mortes et crochues qui s'agrippent aux nuages sont les bras d'un bois qui m'enserre. Un bref cri me fait sursauter comme un enfant. Tout m'entoure. L'odeur de l'humus est gorgée de vapeur. Mes cinq sens sont en éveil, et mon âme galope sur les plaines de la solitude, dans les steppes de l'anxiété, vers la toundra de la paranoïa.

 

Mais soudain, le roi d'or offre quelques degrés de plus qui grignotent l'ombre et les effluves de la nuit. Le brouillard fond et le chemin se révèle. Les conifères naguère menaçants m'ouvrent leurs branches douces, les fougères se colorent lentement d'un vert pastel. Progressivement, la brume disparaît dans les profondeurs de la forêt. Les oiseaux de jour remplacent leurs prédécesseurs lugubres, la rivière se découvre enfin, son eau claire tombe et cascade sur les rochers moussus et mouillés, reluisants. Les rayons salvateurs délivrent l'endroit de son énigmatique obscurité saturée d'air aqueux. Les feuilles se redressent alors et le bal du jour peut s'ouvrir. Il commence avec la sarabande des bergeronnettes qui suit la valse des premières éclosions d'insectes aquatiques. L'aboiement rauque d'un chevreuil proche ne me surprend pas. Je connais ce bruit qui ricoche sur les parois de la vallée boisée. Les coucous et les merles débute leur mélodieuse journée.

 

Faut que je vous laisse, j'ai vu un gobage…

3 commentaires.

  1. On est pas à l'usine non plus… mais c'est vrai que j'suis un peu à la bourre. Bon j'me sauve, j'ai vu un gobage hihi

  2. je vois que la nature continue à t'inspirer…ces beaux textes m'enchantent ….

Commentaires clos.